Les idées
Descartes analyse alors les idées que nous avons, indépendamment de leur vérité ou de leur fausseté ; il les examine ainsi en tant qu'elles sont dans la pensée, en tant que représentation (c'est-à-dire en tant qu'elles ont un esse objectivum). Descartes se place ainsi « en deçà » du vrai et du faux par une distinction radicale et anti scolastique de l’esse objectivum et de l’esse formale. Il analyse les idées qui sont en son esprit à la lumière des principes que nous concevons intuitivement comme évidents. Or, certaines de nos idées semblent venir de l'extérieur de nous ; d'autres semblent être de notre propre fait. Toutes ces idées doivent avoir une cause, car c'est un principe postulé comme intuitif par Descartes que tout effet doit avoir une cause (principe de causalité) ; nous allons voir qu'il utilise également ce principe « ontologique » suivant lequel un effet ne renferme pas plus de réalité que sa cause.
Nous avons en nous, selon Descartes, l'idée d'un être infini, somme de toutes perfections et de toutes réalités. Mais nous ne pouvons manifestement pas en être les auteurs.
La notion de l'infini ne peut venir d'un être imparfait : un être imparfait, c'est-à-dire cette substance pensante qui doute et qui désire. Cette idée n'est donc ni une construction de notre esprit à partir d'éléments de l'expérience (où trouverions-nous donc cette idée dans les choses particulières ? Toute cause extérieure est finie, limitée), ni une création indépendante de notre raison imparfaite.
Le raisonnement de Descartes postule alors certains axiomes, et peut se formuler ainsi :
Puisque tout effet a une cause,
et que la cause n'a pas moins de réalité que l'effet,
il faut que cette idée de l'infini soit causée par quelque être parfait qui en est le véritable auteur ;
donc Dieu existe.
Dieu existe, et l'idée que j'ai de l'infini est la marque qu'il a laissé sur son ouvrage ; c'est la marque du créateur dans sa créature. D'après Descartes, cette idée nous est donc innée : dès que je pense, la clarté et l'évidence de ma faculté de penser me font concevoir que Dieu existe. Malebranche sera plus direct encore : je pense, donc Dieu existe.
Néanmoins, l'innéité de l'idée ne veut pas dire qu'elle me soit donnée immédiatement : elle se développe en nous avec notre pensée, pour devenir une intuition :
« Les idées innées proviennent de notre faculté de penser elle-même. »
L'existence de Dieu étant assurée, Descartes pense posséder maintenant une certitude solide pour fonder nos connaissances. Remarquons toutefois que le fondement de ce raisonnement est le principe de causalité. On peut donc se demander avec Pascal si Descartes avait réellement besoin de Dieu pour fonder la science.
Mais il faut à présent comprendre comment la connaissance devient possible par la certitude de cette idée innée qu'est l'infini. Un être imparfait se trompe et peut être trompé. Un être parfait ne trompe pas, car la tromperie participe du défaut, et on ne peut l'attribuer à Dieu sans contradiction. Si donc Dieu existe et que par des idées innées je « participe » à sa perfection, alors l'erreur n'est plus le résultat d'un défaut ontologique (le malin génie, l'impossibilité radicale de toutes connaissances) mais elle provient uniquement de la finitude de mes facultés.
Cette perfection de Dieu que nous concevons de manière innée explique également que nous nous concevions imparfaits : c'est parce que nous avons l'idée de la perfection que nous pouvons reconnaître notre imperfection. L'imperfection subjective (celle du sujet, de la substance pensante) suppose la perfection objective, ontologique, en un mot, l'existence de Dieu.
Le résultat de cette recherche des premiers fondements aboutit donc à introduire Dieu dans la théorie de la connaissance. L'idée même de la nature (de ce que les sciences étudient) va s'en trouver modifiée :
« Par la nature considérée en général, je n'entends maintenant autre chose que Dieu même, ou bien l'ordre et la disposition que Dieu a établie dans les choses créées. »
Qu'est-ce donc que la connaissance ? C'est connaître l'ordre et les lois de la nature par notre participation à la perfection divine. Malebranche, souvent plus économe que Descartes, dira que nous nous voyons en Dieu. Ce que nous connaissons, ce sont donc les vérités éternelles instituées par la volonté immuable et absolue de Dieu.
Do'stlaringiz bilan baham: |