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2.Philosophie de Descartes

Le projet cartésien : la recherche d’une méthode universelle


La philosophie en France pendant la Renaissance est encore assez mal connue, et il est donc difficile de connaître avec précision les influences philosophiques qu'a reçues Descartes. On trouvera ci-dessous quelques éléments de contexte permettant d'explorer des pistes.
Quand Descartes commence à s'intéresser aux sciences, la domination de l'aristotélisme et de la métaphysique scolastique commence à être discutée45. Certains soutiennent par exemple que Descartes a été influencé par la méthode du doute du théologien Pierre Charron, qui s’est démarqué de la métaphysique scolastique qu'il jugeait trop spéculative
Il y a au xviie siècle une résurgence certaine des courants philosophiques du stoïcisme, de l'augustinisme et du scepticisme – plus particulièrement en ce qui a trait à l'influence de Montaigne, qui constitue à cet égard une figure représentative du doute et du scepticisme qui anime l'époque. Le doute sceptique est une question qui intéresse son siècle : on a conscience de ne pas posséder une vérité indubitable, surtout dans le domaine des mœurs et des opinions, mais on la cherche : le cheminement vers le doute s'oriente vers la vérité. Les idées de la fraternité de Rose-Croix étaient aussi très répandues en Allemagne et en France autour des années 1620.
Par ailleurs, la controverse ptoléméo-copernicienne sur les deux systèmes du monde (géocentrisme vs héliocentrisme) fait rage dans le milieu scientifique et religieux (voir révolution copernicienne). Les thèses héliocentriques font leur chemin. Elles remettent en cause certains fondements de la religion chrétienne : en effet quelques passages cosmologiques de la Bible, interprétés littéralement, laissent entendre que la Terre est immobile. Les systèmes d'Aristote et de Ptolémée décrivaient aussi la Terre fixe au centre de l'univers. Il n'est pas possible de débattre tout à fait librement de l'héliocentrisme depuis l'interdiction de 1616 par l'Église. Galilée, célèbre partisan de la doctrine héliocentrique, après avoir convaincu une partie des autorités de l'Église, est finalement condamné à l'emprisonnement en 1633 par un tribunal ecclésiastique. Son ami le pape Urbain VIII commue sa peine en assignation à résidence.
Descartes avait écrit en 1632-1633 un Traité du monde et de la lumière, dans lequel il défendait la thèse héliocentrique47. Il apprit en 1633 la condamnation de Galilée, puis il reçut en 1634 de son ami Beeckman le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, le livre qui valut à Galilée sa condamnation. C'est la raison pour laquelle il renonça à publier son Traité du monde et de la lumière. Pensant que Galilée avait manqué de méthode pour défendre la thèse de l’héliocentrisme, il préféra s'orienter vers une carrière philosophique :
Avec Descartes, les outils mathématiques permettent le développement d'une science nouvelle, la dynamique, issue de l'astronomie et de la physique. Les sciences deviennent des disciplines autonomes qui trouvent leurs fondements dans la métaphysique. Dieu devient le garant du plan de l'être mais le sujet connaissant devient premier sur le plan de l'objet, c'est-à-dire sur le plan de la connaissance. L'école scolastique a manqué sur les questions d'observation, elle est discréditée. C'est la révolution copernicienne.
Descartes, avide de connaissances, s'interrogea sur la place de la science dans la connaissance humaine. Il approuvait le projet de Galilée de rendre compte de la nature en langage mathématique, mais il lui reprochait son manque de méthode, d'ordre et d'unité. Toute la philosophie cartésienne aura pour préoccupation constante de ramener l'étude d'objets particuliers à quelques principes premiers, dont le fameux cogito ergo sum.
Dans son projet d'ouvrage sur les Règles pour la direction de l'esprit (1629), Descartes avait fait l'inventaire de nos moyens de connaître, et avait privilégié l'intuition et la déduction, sans négliger l'imagination et la mémoire (règle douzième).
Après le procès de Galilée, le projet philosophique de Descartes se présente alors en trois étapes principales correspondant aux trois œuvres suivantes :

  • Discours de la méthode (1637)

Descartes commença donc par élaborer une méthode qu'il voulait universelle, aspirant à étendre la certitude mathématique à l'ensemble du savoir, et espérant ainsi fonder une mathesis universalis, une science universelle. C'est l'objet du Discours de la méthode (1637). Il affirme ainsi que l'univers dans son ensemble (mis à part l'esprit qui est d'une autre nature que le corps) est susceptible d'une interprétation mathématique. Tous les phénomènes doivent pouvoir s'expliquer par des raisons mathématiques, c'est-à-dire par des figures et des mouvements conformément à des « lois ».
Descartes juge la méthode scolastique trop « spéculative », déclarant dans le Discours de la méthode (sixième partie) :
« Au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connoissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connoissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. »

  • Meditationes de prima philosophia (1641)

Mais il sentira la nécessité d'un fondement pour la connaissance, qui permettrait en outre d'affermir la religion. Dans un ouvrage en six parties, il jette ainsi les fondements de sa philosophie, passés au crible du doute hyperbolique. Descartes y démontre principalement l'existence de Dieu et la distinction réelle de l'âme et du corps, à partir de ce qu'on appelle communément le cogito.
Toutefois, dans les méditations, Descartes semble montrer des réticences à s'étendre complètement sur la notion scolastique de substance, qui se trouve, pourtant, au cœur de la métaphysique. Cette notion ne sera vraiment abordée par Descartes que dans les Principes de la philosophie48.

  • Principia philosophiæ (1644)

La métaphysique cartésienne devient dans ce texte le point de départ de toutes les connaissances jusqu'à la morale qui en est le fruit. Dans ses Principes de la philosophie (1644), Descartes compare la philosophie à « un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc la physique, et les branches toutes les autres sciences, les principales étant la mécanique, la médecine et la morale… »
Le projet cartésien s'inscrit donc dans une conception « morale » de la recherche de la vérité :
« C'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher ; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre n'est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu'on trouve par la philosophie ; et, enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire en cette vie, que n'est l'usage de nos yeux pour guider nos pas. Les bêtes brutes, qui n'ont que leur corps à conserver, s'occupent continuellement à chercher de quoi le nourrir ; mais les hommes, dont la principale partie est l'esprit, devraient employer leurs principaux soins à la recherche de la sagesse, qui en est la vraie nourriture ; et je m'assure aussi qu'il y en a plusieurs qui n'y manqueraient pas, s'ils avaient espérance d'y réussir, et qu'ils sussent combien ils en sont capables. Il n'y a point d'âme tant soit peu noble qui demeure si fort attachée aux objets des sens qu'elle ne s'en détourne quelquefois pour souhaiter quelque autre plus grand bien, nonobstant qu'elle ignore souvent en quoi il consiste. Ceux que la fortune favorise le plus, qui ont abondance de santé, d'honneurs, de richesses, ne sont pas plus exempts de ce désir que les autres ; au contraire, je me persuade que ce sont eux qui soupirent avec le plus d'ardeur après un autre bien, plus souverain que tous ceux qu'ils possèdent. Or, ce souverain bien considéré par la raison naturelle sans la lumière de la foi, n'est autre chose que la connaissance de la vérité par ses premières causes, c'est-à-dire la sagesse, dont la philosophie est l'étude. Et, parce que toutes ces choses sont entièrement vraies, elles ne seraient pas difficiles à persuader si elles étaient bien déduites. »
les Principes de la philosophie, lettre-préface de l'édition française des Principes
Dans ce livre inachevé publié après sa mort en 1701, Descartes souligne la difficulté qu'il y a à prendre connaissance de la science dans les livres de son époque, car « ce qu’ils renferment de bon est mêlé de tant d’inutilités, et dispersé dans la masse de tant de gros volumes, que pour les lire il faudrait plus de temps que la vie humaine ne nous en donne ». C'est pourquoi il propose une voie abrégée, et affirme qu'il n'emprunte pas les vérités qu'il avance à Platon ou à Aristote. Il met en scène trois personnages, pour mieux mettre en valeur la méthode qu'il propose : le doute universel.

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